samedi 30 septembre 2017

Les conséquences politiques de la paix de Jacques Bainville


Ce livre est une leçon.
Un enseignement magistral de géopolitique, d'histoire, de sociologie et de journalisme, une ode à la finesse d'analyse géostratégique qui mérite d'être lue et relue.
Jacques Bainville signe ici ce qui est peut-être son meilleur ouvrage, le plus spectaculaire en tout cas de par le côté prophétique qui en émane.

Ce passage est intemporel :
"D'ordinaire, en politique, les effets sont aperçus quand ils commencent à se produire, c'est-à-dire quand il est trop tard. Le principe de causalité, qui tourmente à peine les hommes, est encore plus indifférent aux peuples. (...) Pour que les conséquences apparaissent aux nations, il leur faut des catastrophes ou le recul de l'histoire. Elles se résignent à vivre entourées de forces invisibles, comme les génies des Mille et Une Nuits, qu'elles blessent sans le savoir et qui exigent des comptes tout à coup."


Jacques Bainville (1879-1936).
Les Conséquences Politiques de la Paix est publié en 1920, Jacques Bainville y dénonce le Traité de Versailles par le biais notamment de cette formule bien connue "Une paix trop douce pour ce qu'elle a de dur, et trop dure pour ce qu'elle a de doux".

Quelques extraits :


De nouvelles tribulations commencent. Combien l'ont vu ? Combien s'en doutent ?
Pourquoi ces choses et non d'autres ? A des sommes prodigieuses de dévouement et de sacrifice répondent des abîmes d'ignorance. Grand est le nombre des hommes qui subissent, qui vivent, souffrent et meurent sans avoir interrogé. Petit le nombre de ceux qui cherchent à déchiffrer les causes pour lesquelles ils payent jusque dans leur chair.

Un jour, peut-être, l'heure de la raillerie transcendante viendra, si les hommes retrouvent le loisir et l'humeur de railler. Tant d'espérances fauchées, de sacrifices à demi perdus, d'efforts à recommencer arracheraient plutôt des larmes à un grand poète patriote, à un Virgile si nous en avions un. 

A plus tard les lamentations, comme l'ironie qui sort de ces immenses gaspillages. Il faudra bien reprendre ce qui n'est pas achevé.
Les chirurgiens de Versailles ont recousu le ventre de l'Europe sans avoir vidé l'abcès.
Alors la France doit regarder en elle et autour d'elle.
Après cette guerre et après cette paix, voilà les dangers dont elle reste entourée, ce qu'elle a encore à faire pour que sa victoire ne s'envole pas et pour qu'elle en garde autre chose que le rayon et le parfum.
Dans cette vaste confusion, quelle politique peut-elle suivre ? La masse allemande jette encore son ombre sur nous.
Au-delà, dans la zone d'une confusion barbare ou presque barbare, qu'allons-nous trouver ?


Jacques Bainville pressent l’avènement en Allemagne "d'un seul chef", les malheurs de la Pologne, l'Anschluss, la crise des Sudètes...

Pendant plus d'une génération, les Allemands devront payer tribut aux Alliés.
Ils devront payer le tribut principal aux Français qui sont un tiers de moins qu'eux : 40 millions de Français ont pour débiteurs 60 millions d'Allemands dont la dette ne peut être éteinte avant trente années, un demi-siècle peut être. (...) Quelles garanties, quelles précautions eût appelées cette formidable créance !
Au moins que ces millions de créatures ne fussent pas attachées au même boulet, avec un seul gouvernement, peut-être demain un seul chef, pour les dresser à briser leur chaîne.

Accroupie au milieu de l'Europe comme un animal méchant, l'Allemagne n'a qu'une griffe à étendre pour réunir de nouveau l'îlot de Koenigsberg. Dans ce signe, les prochains malheurs de la Pologne et de l'Europe sont inscrits.


Il y a trois millions d’Allemands en Bohême. Une guerre avec l’Allemagne serait le suicide de la Tchécoslovaquie. Une extrême prudence est ordonnée au gouvernement de Prague. Et la prudence s’appelle neutralité. Et la neutralité inconditionnelle, absolue, s’appelle bientôt l’assujettissement.

Plus au sud, c’est pis. Voilà l’Autriche, un morceau d’Allemagne authentique. Elle seule est détachée de l’unité allemande…
À portée de sa main, l’Allemagne a désormais ces millions de frères pauvres et nus, réduits à une situation politique et géographique paradoxale. Là encore, pour 60 millions d’Allemands, la tentation est trop forte. L’appel à l’avenir est trop évident.

Rien n'instruit et rien n'améliore.

L'expérience des pères est perdue pour les enfants.
L'humanité tourne dans un cercle de douleurs.

Il reste l'Allemagne, seule concentrée, seule homogène, suffisamment organisée encore, et dont le poids, suspendu sur le vide de l'Europe orientale, risque de faire basculer un jour le continent tout entier.


Je pourrais continuer ainsi et citer l'ouvrage tout entier tant chaque phrase, chaque mot, en plus d'être frappés du sceau de l'élégance stylistique et de la supériorité intellectuelle de Jacques Bainville sont aussi fondus dans une logique d'analyse qui laisse pantois.

Monumental et lumineux.


Vladimir Boukovski et la comparaison UE/URSS




Vladimir Boukovski à propos de l'Union Européenne et des multiples ressemblances de celle-ci avec une Union des Républiques Socialistes Soviétiques qu'il connait trop bien et dont il a fréquenté les geôles pendant une douzaine d'années.


dimanche 24 septembre 2017

Un référendum catalan sous haute tension


Le prochain référendum concernant l'indépendance de la Catalogne qui aura (normalement) lieu le dimanche 1er octobre prochain pourrait être le détonateur d'une implosion prochaine de l'ensemble des nations européennes.
Si le "oui" l'emporte, la Catalogne serait à coup sûr l'élément qui servirait d'exemple émancipateur à tous les mouvements indépendantistes européens, avec, au premier rang de ceux-ci : la Flandre et l'Ecosse. 
En cas d'indépendance catalane, l'Espagne se retrouverait amputée d'un territoire de 7,5 millions d'habitants représentant environ un cinquième de l'économie espagnole.
On comprend l'opposition du Premier Ministre espagnol Mariano Rajoy à la tenue de ce référendum qui en cas de victoire du "oui" reléguerait encore plus la voix de l'Espagne dans le concert des nations.

Il est indispensable de garder à l'esprit que tous ces mouvements indépendantistes ont été favorisés par l'Union Européenne depuis de nombreuses années.
En effet, afin de mettre en place une Europe "unie" il était nécessaire de détruire les Etats, de les dissoudre en encourageant les tendances régionalistes qui agiraient à terme comme de parfaits bâtons de dynamites indispensables afin de faire imploser les sous-ensembles dépassés que sont devenus les Etats-nations dans l'esprit des technocrates bruxellois.




On peut citer la recommandation 34 du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe (CPLRE) datant de 1997 qui posait les bases d'une montée en puissance des régions.
L'article 23 de ladite recommandation intitulé "Engagement des Etats dans un processus de régionalisation" est on ne peut plus clair quant aux objectifs poursuivis :


Les Etats dans lesquels un processus de régionalisation
est en cours peuvent ratifier la présente Charte en
prenant l’engagement de mettre en œuvre ses dispositions
par la création et le développement de structures
régionales. Ils s’engagent, dans une période de dix ans
au maximum à partir de l’entrée en vigueur de la Charte
à leur égard, à établir le cadre juridique et les mécanismes
administratifs et financiers qui leur permettront
de respecter à l’égard de leurs régions les droits définis
par la présente Charte, aux conditions précisées au paragraphe
1 ou au paragraphe 2 de l’article 20.




Cette parcellisation des Etats européens doit être vue comme une destruction nécessaire à l'avènement d'une Europe fédérale dont le traité de Maastricht était la porte d'entrée.
A plus ou moins long terme, le grand bénéficiaire de cet émiettement généralisé sera le monde germanique qui verra son emprise sur l'Europe devenir inéluctable de par son poids éthnico-économique.
La régionalisation européenne est également vue d'un très bon œil par "l'ami américain" qui a tout intérêt à liquider ce qui peut rester d'opposition étatique (aussi molle soit-elle) en Europe et faire ainsi le jeu de ses multinationales déjà omniprésentes en matière de lobbying du côté de Bruxelles.

Pour rappel, cet extrait du discours de Bill Clinton lors de la remise du prix Charlemagne en 2000 :
« L’unité de l’Europe est en train d’engendrer quelque chose de véritablement neuf sous le soleil ; des institutions communes plus vastes que l'Etat-nation parallèlement à la dé­légation de l’autorité démocratique aux échelons inférieurs. L’Ecosse et le pays de Galles ont leurs propres parlements. L’Irlande du Nord, dont ma famille tire son origine, a retrouvé son nouveau gouvernement. L’Europe est pleine de vie et résonne à nouveau des noms d’anciennes régions dont on reparle — la Catalogne, le Piémont, la Lombardie, la Silésie, la Transylvanie, etc -non pas au nom d’un quelconque séparatisme, mais dans un élan de saine fierté et de respect de la tradition. La souveraineté nationale est enrichie des voix régionales pleines de vie qui font de l’Europe un lieu garantissant mieux l’existence de la diversité ».

Pour aller plus loin sur ce sujet il faut lire les deux premiers ouvrages de Pierre Hillard : Minorités et Régionalisme dans l'Europe fédérale des Régions et La Décomposition des Nations Européennes.

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